dimanche 2 février 2020

Bilan 2

Pourquoi j’aime la politique ? C’est viscéral, je crois. Mais il y a aussi des raisons plus concrètes.

Les idées, d’abord. Même si on a l’impression dans ces temps incertains où les idéologies ne sont plus à la mode, en ces temps de pragmatisme, de ni gauche, ni droite, en ces temps de mort des utopies et des rêves de vie meilleure, qu’on n’a plus le droit de faire de la politique. Comme si cela était devenu une insulte à l’intelligence. Et pourtant, c’est invariable, cela était déjà vrai dans l’agora des Grecs anciens, dans les jeux de pouvoir de la Rome de César, à la cour de Charlemagne ou de Louis XIV. Cela est vrai, aussi bien pour les plus grands démocrates que pour les pires dictateurs : il s’agit de faire des choix. Des choix qui influent sur la vie des gens. On a beau dire, mais il y a une histoire, une culture de la politique et selon qu’on soit de gauche ou de droite, on ne fait pas les mêmes choix pour la cité. Même au niveau local. On ne choisit pas les mêmes budgets, selon qu’on soit macroniste, lepeniste ou socialiste. Et j’ai la force de mes convictions. Je veux croire en une société plus solidaire et plus juste, en une société plus écologique. C’est une utopie, qui me guide, mais à quoi bon vivre, si l’on ne rêve pas. Si l’on n’imagine pas que le futur sera plus doux, plus beau. La politique est là pour ça : pour se donner les moyens du rêve. Oui, c’est aussi dans ces songes parfois trop vastes que naissent les promesses, les désillusions, les trahisons et les faux espoirs. Mais derrière ces chimères qui les dépassent, agissent et se trompent, et essayent à nouveau, des femmes et des hommes qui rêvent.

L’amour des mots, c’est une raison, aussi. Comment passer les idées, si ce n’est pas le maniement de langue, la communication, l’art subtil du discours, de la rhétorique, de l’éloquence, de la conviction et de la persuasion. J’aime les mots, j’aime les arranger pour qu’ils sonnent et qu’ils fassent vibrer, qu’ils fassent rire, qu’ils fassent frissonner. Qu’ils soient la mise en musique de nos émotions, de notre ressentir. Qu’ils nous fouettent et nous donnent l’énergie de faire. Les paroles sont des actes, en politique. Qu’on les dise ou qu’on les écoute, ils réconfortent et ils apaisent.

Il n’y a pas de politique sans stratégie et c’est une raison supplémentaire pour apprécier l’exercice du pouvoir. Si minime qu'il soit. Faire de la politique, souvent c’est comme jouer au poker. Ou aux échecs. Il y a plusieurs coups d’avance à avoir. Seulement, c’est un jeu à taille humaine, grandeur nature. On joue réellement avec la vie des femmes et des hommes. Avec leur honneur, avec leur ego, avec leurs vanités. C’est un jeu dangereux. C’est un jeu où il faut savoir doser le cynisme et la sincérité. Il faut savoir bluffer et se dévoiler. Il faut comprendre les enjeux et les motivations de chacun. Ce n’est pas un jeu d’enfants. C’est un jeu dans lequel il ne faut rien attendre, jamais, de personne. Mais qui peut gratifier autant qu’il peut détruire. C’est une loterie. C’est un jeu de chance, autant que de stratégie. Mais c’est un jeu dans lequel il faut s’engager entièrement si l’on veut y gagner quelque chose. Il n’y a jamais de don gratuit. On ne vous donnera jamais ce que vous n’irez pas chercher vous-même. Et on le fait pour le jeu, pour l’excitation, pour soi. Un peu comme une roulette russe. Les politiques sont des têtes brûlées qui remettent leur destin dans les mains des électeurs à chaque mandat.

Et puis il y a l’image, la place dans la société. Cela peut sembler illusoire tant la politique ne représente plus rien pour la plupart des gens. Faites un sondage dans la rue : qui connait le prénom de l’actuel premier ministre ? Qui sait réellement à quoi servent les impôts ? Qui fait vraiment la différence entre un service public et un supermarché ? Qui connait le fonctionnement de notre démocratie ? Cependant, on aime à croire que l’on nous aimera parce qu’on fait de la politique. Et parfois, c’est le cas. On aime autant qu’on déteste, mais on se donne l’impression d’exister, de servir à quelque chose, l’impression de vivre vraiment. C’est en cela, peut-être que c’est viscéral, presque inexplicable. C’est la première émotion que j’ai ressentie, il y a 6 ans, lorsque j’entamai ma première campagne des municipales. L’impression d’être à ma place, de savoir pourquoi j’étais là, d’être entièrement moi-même. C’est sans doute ce qui se passe pour ceux qui ont une passion, quelle qu’elle soit. Le sentiment qu’il n’y a pas à se poser de questions. Qu’on fait ce que l’on doit.

Bilan 1

On ne peut rien comprendre à la politique tant que l’on n’a pas vécu une campagne électorale. Les sportifs, les joueurs, les artistes peut-être peuvent comprendre cela. Ils peuvent comprendre l’excitation, la peur, l’incertitude, l’espoir. Cependant, c’est une course à long terme, une campagne : bien plus longue qu’un match de foot, bien plus longue qu’un concert au zénith, bien plus longue qu’une soirée au casino. Mais il y a la même joie d’être une équipe, de jouer le collectif, d’avoir un adversaire, de viser un but. Et il y a la même sensation de mettre sa vie en jeu, de pouvoir tout perdre ou tout gagner. Il y a la même envie de tout donner pour plaire, pour faire rêver, pour donner de l’espoir.

Cela peut paraître lyrique, grandiloquent, exagéré. On ne peut pas vraiment le comprendre sans l’avoir vécu. Car les motivations de chacun sont différentes : la gloire, la lumière, l’argent sont des objectifs très illusoires. Il y a plus souvent des choses bien plus humaines, bien plus minuscules. Moi, par exemple. Pourquoi je m’engage ? Cette question m’obsède, au point d’en écrire des romans. Il y a des milliers de réponses, en vérité. Les rencontres, les gens, l’envie d’autre chose, le besoin d’apprendre, de m’élever. Des choses qui peuvent paraître plus mesquines et plus égoïstes, aussi, parce que c’est cela qui nous constitue, aussi, nous, les êtres humains : le besoin de m’évader de mon travail tellement épuisant, bien qu’il soit passionnant. Le besoin de voir autre chose, de n’être pas seulement avec des ados dans une salle de classe. Parce que la vie est une aventure et qu’être élue, avant même mon premier mandat, j’en avais l’intuition, serait une belle façon de découvrir le monde dans lequel je vis. De découvrir les Hommes. Leurs joies, leurs peines, leur beauté et leurs vices. Et croyez-moi, on n’est pas déçu, quand on ne cherche que soi, à travers les autres.

Il n’y a pas d’explication compréhensible pour celui qui n’a expérimenté cela. Il n’y a pas d’explication pour être adjointe, pour quelques centaines d’euros par mois (ce n’est pas négligeable), pour passer des heures en réunions, sur des sujets aussi variés que le Plan Local d’Urbanisation, sur le budget d’une ville, sur les travaux de la rue tartempion, sur l’organisation de la venue de la délégation de la ville belge avec qui notre ville est jumelée. Il n’y a aucune raison, pour volontairement, et pour quelques centaines d’euros par mois (c’est tout à fait considérable), de passer des soirées au loto de l’harmonie, à l’exposition de peinture des amateurs d’art, de passer des dimanches après-midi à tenir une caisse au festival Rencontres et Racines. Il n’y a aucune raison, sans doute, pour le commun des mortels, à être d’astreinte, à parfois être réveillée en pleine nuit pour aller constater un accident de la route, une fuite de gaz, un terrible incendie. Pour quelques poignées d’euros, encore heureux.

Il ne semble pas y avoir de bonnes raisons. J’ai une décharge au travail. C’est une bonne raison. Les quelques centaines d’euros compensent juste. Ce n’est pas pour l’argent.

Il ne semble pas y avoir de bonnes raisons. Je n’ai aucune ambition personnelle, si ce n’est d’aller où la vie me pousse. Au bout de six ans de bons et loyaux services, on ne me reconnait pas dans la rue. Ce n’est pas pour la gloire ou la lumière.

Il ne semble pas y avoir de bonnes raisons, si ce n’est la découverte. La rencontre, l’humain. Et peut-être l’idée obsédante que l’on n’est pas vraiment humain si l’on n’essaie pas de s’élever.